Guerrières de la Paix : comment les femmes construisent la paix depuis Essaouira

Hanna Assouline portrait
Hanna Assouline portrait

Dans cette interview exclusive, Hanna Assouline, la fondatrice du mouvement des Guerrières de la Paix, revient sur la création de cette initiative révolutionnaire lancée depuis Essaouira. Entre témoignage personnel et vision politique, elle explique comment des femmes de tous horizons – d’Afghanistan en Palestine, du Sénégal au Maroc – s’unissent pour construire une paix durable. Un cri d’urgence qui refuse la résignation et pose les bases d’une Alliance internationale des femmes pour la paix. 

Qu’est-ce qui vous a poussée à initier ou rejoindre le mouvement des Guerrières de la Paix ?

Hanna Assouline : Ce qui m’a poussée, c’est un refus viscéral de la résignation. J’ai vu monter la haine, les discours binaires, la mise en concurrence des douleurs. J’ai senti le besoin vital de créer un espace où les femmes, souvent reléguées au silence, puissent se lever et dire : nous refusons la logique de mort, nous choisissons la vie. Les Guerrières de la Paix sont nées d’un cri. Le cri de femmes juives, musulmanes, chrétiennes, athées, d’origines et de cultures différentes, mais qui partagent une conviction : seule la paix est un horizon possible, et nous la conquerrons ensemble.

Du 19 au 21 septembre 2025, à Essaouira, se tiendra la deuxième édition du Forum Mondial des Femmes pour la Paix. En quoi Essaouira, ville carrefour des cultures, représente-t-elle un lieu symbolique pour porter ce message de paix ?

Hanna Assouline : Essaouira est une ville-mémoire, une ville-symbole. Depuis des siècles, elle incarne la coexistence judéo-musulmane, le brassage des cultures et des croyances, l’ouverture au monde. C’est une ville où la diversité a été vécue comme une force, et non comme une menace. Tenir notre Forum ici, c’est renouer avec cet héritage de tolérance et de dialogue, et rappeler qu’il existe, dans notre histoire commune, des preuves que le vivre-ensemble est possible. Depuis Essaouira, nous envoyons un message universel : le Maroc est une terre de paix, de ponts, un lieu d’où peut rayonner une espérance pour l’Afrique, la Méditerranée et au-delà.

Comment votre propre histoire ou parcours a-t-il nourri votre engagement pour la paix et la justice ?

Hanna Assouline : Je suis une femme juive séfarade franco-marocaine. Mon identité est faite de traversées, de mémoires entremêlées, de douleurs héritées et de fidélités multiples. J’ai grandi dans cette complexité, avec l’exigence d’ouvrir le dialogue là où d’autres voyaient des murs. Mon parcours de réalisatrice m’a appris que raconter, filmer, transmettre, c’est déjà résister à l’effacement. Mon engagement vient de là : refuser qu’une mémoire efface l’autre, refuser qu’un peuple puisse exister en niant l’autre.

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées en tant que femme engagée dans un contexte de conflit ou d’instabilité ?

Hanna Assouline : Être une femme qui parle de paix dans un monde dominé par la guerre, c’est être souvent accusée d’angélisme, être méprisée pour sa prétendue faiblesse, ou pire être soupçonnée de neutralité complice. Pourtant notre combat pour la paix ne s’est jamais épargné aucune lucidité. Nous l’affirmons avec force, la paix est un combat, un combat politique, concret et pragmatique qui repose sur une exigence fondamentale de justice, d’égalité et de dignité pour toutes et tous.

Pourquoi est-il crucial d’inclure les femmes dans les processus de paix ? Que peuvent-elles apporter de différent ?

Hanna Assouline : Parce qu’il n’y aura pas de paix durable sans les femmes. Elles apportent une vision radicalement différente : la protection de la vie, la préservation du tissu social, la responsabilité de l’avenir. Là où partout dans le monde des autocrates virilistes ivres de pouvoir cultivent une politique de destruction, les femmes privilégient la réparation. Nous refusons de n’être que celles qui pleurent nos morts : nous voulons peser sur les décisions, transformer l’histoire.

Pensez-vous que la résolution 1325 de l’ONU a eu un réel impact sur le terrain ? Comment pourrait-elle être mieux mise en œuvre ?

Hanna Assouline : La résolution 1325 a été une avancée majeure : pour la première fois, l’ONU reconnaissait que les femmes doivent être présentes dans les processus de paix. Cette résolution prouve que lorsque les femmes sont impliquées dans les négociations de paix, non seulement des accords sont trouvés plus rapidement mais aussi que les solutions adoptées sont plus stables et plus durables dans le temps.

Mais sur le terrain, les résultats sont encore très insuffisants. Tant que leur inclusion ne sera pas une obligation réelle et contrôlée, elle restera un slogan. Il faut conditionner les financements, les négociations et les accords de paix à la présence effective des femmes autour de la table.

Quels sont les objectifs concrets de ce Forum et quels résultats en attendez-vous à court et long terme ?

Hanna Assouline : Ce Forum est un cri d’urgence lancé depuis Essaouira, une ville marocaine qui incarne le vivre-ensemble, la mémoire partagée, les ponts entre les cultures juives et musulmanes notamment.

À court terme, notre forum permet à des femmes venues d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Europe et d’ailleurs de se rencontrer, de dialoguer, de porter une voix commune face à la spirale des violences. C’est un souffle, une caisse de résonance, un front moral qui se dresse face à la haine.

À long terme, ce Forum veut être bien plus qu’un événement : il est la matrice d’une Alliance internationale des femmes pour la paix. Une force collective capable de peser sur les décisions politiques, de former des jeunes ambassadrices de paix et d’installer une solidarité transnationale durable.

La création de l’Alliance Internationale des Femmes pour la Paix est un moment fort du Forum. Quelles seront ses premières actions ?

Hanna Assouline : L’Alliance sera d’abord un lieu de solidarité active. Ses premières actions viseront à amplifier les voix des militantes de terrain, à organiser des campagnes internationales coordonnées et à proposer des espaces de formation pour les jeunes femmes. C’est un outil pour que les résistances locales deviennent un réseau global. Depuis Essaouira, nous lançons cette Alliance comme une promesse : que la parole des femmes, de Gaza à Kaboul, de Dakar à Paris, ne soit plus jamais marginalisée mais placée au cœur des processus de paix.

Comment crée-t-on une solidarité efficace entre des femmes venues de contextes si différents (Afghanistan, Palestine, Sénégal, etc.) ?

Hanna Assouline : La véritable solidarité ne naît pas de l’effacement des différences, mais précisément de leur reconnaissance pleine et entière. Nous commençons par écouter, par accueillir les mémoires, les douleurs et les espérances de chacune. Quand une Afghane raconte son combat pour l’éducation, quand une Palestinienne témoigne de sa vie sous occupation, quand une Sénégalaise partage son expérience de médiation communautaire, nous apprenons. La solidarité se construit en refusant de hiérarchiser les souffrances et en affirmant que chaque combat a sa légitimité. À l’heure de la mise en concurrence de nos identités et de nos souffrances, nous affirmons que nos luttes et nos histoires ne s’annulent pas les unes les autres mais qu’au contraire elles se renforcent et se font écho.

En quoi la reconnaissance de l’altérité est-elle indispensable à la construction d’une paix durable

Hanna Assouline : Parce que nier l’autre, c’est préparer et alimenter la guerre. La paix durable n’est pas l’uniformité mais la fierté assumée de nos différences. Reconnaître l’altérité, c’est reconnaître que la dignité et la mémoire de l’autre sont aussi légitimes que les nôtres. C’est rappeler que sans l’autre nous ne sommes rien. Que cette altérité nous grandit autant qu’elle nous oblige.

C’est ce que nous appelons une humanité radicale : le choix de voir en l’autre un frère ou une sœur, même au cœur de l’horreur.

Quel rôle la jeunesse, notamment locale, peut-elle jouer dans cette dynamique de paix ?

Hanna Assouline : La jeunesse est notre avenir. Elle est curieuse, inventive, résiliente et solidaire.

Cette génération n’a pas été épargnée. Entre la montée des fascismes partout dans le monde, le Covid, les guerres, le terrorisme. Cette jeunesse évolue dans un monde qui vacille, elle est spectatrice quotidienne de beaucoup de violences, notamment sur les réseaux sociaux. Malgré ce contexte dans lequel il est douloureux de grandir et de se construire, cette génération nous épargne la résignation. Elle a sa capacité à construire, à réfléchir, à se projeter dans l’avenir. À résister au chaos et au désespoir.

C’est parce que nous croyons en la force de cette jeunesse que nous voulons former des jeunes ambassadrices et ambassadeurs de paix, leur donner les outils pour déconstruire les discours de haine et devenir les passeurs d’un récit nouveau. La jeunesse marocaine, en particulier, a un rôle crucial à jouer : elle peut montrer que depuis Essaouira, une ville marocaine ouverte sur le monde, un autre avenir est possible.

Quels outils ou leviers sont mobilisés pour ancrer cette mobilisation dans la durée, au-delà du Forum ?

Hanna Assouline : L’émotion d’un Forum est puissante, mais elle doit se transformer en action durable. Pour cela, nous travaillons sur trois leviers :

  • Un ancrage territorial, avec des antennes locales et des Cafés des Guerrières pour prolonger le lien.
  • Un travail éducatif, dans les écoles, les universités, les associations, pour semer dès le plus jeune âge des graines de paix.
  • Un plaidoyer politique, auprès des institutions nationales et internationales, pour inscrire nos revendications dans le droit et les décisions.

Mais au-delà des outils, il y a surtout une conviction : nous voulons bâtir un front de dignité et de solidarité, capable de tenir tête à la haine, partout et sous toutes ses formes.

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