«Scandale Divine Kumasamba»: la mort qui illustre la dérive des hôpitaux à Kinshasa

À Kinshasa, en RDC, les autorités ont ordonné, mercredi 10 septembre, la suspension des services des urgences dans deux luxueux hôpitaux privés. Et ce, après la mort d’une patiente à qui des soins ont été refusés pour n’avoir disposé d’une caution jugée « exagérée » par les autorités. Un tollé s’en est suivi sur une règle implacable : dans les hôpitaux privés et certains établissements publics de la capitale congolaise, pas d’argent rime avec pas de soins. Dans ce système, la santé se monnaie au comptant, sans état d’âme, révélant au grand jour les dérives d’un secteur pourtant censé sauver des vies.

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De notre correspondant à Kinshasa,

Dans la nuit du 7 au 8 septembre, Divine Kumasamba, une trentenaire récemment diplômée d’une université, est conduite en urgence par sa mère et sa sœur à HJ hospital, du nom de son propriétaire Harish Jagtani, un indien magnat d’affaires à Kinshasa

La jeune souffre de violentes douleurs abdominales. Selon le récit de sa famille, les médecins refusent de la prendre en charge sans le versement préalable de 5 000 dollars américains. Les proches proposent une avance de 500 dollars et s’engagent à compléter le reste dans la journée. Mais le personnel médical reste inflexible. Aucun soin d’urgence, même de stabilisation, ne sera prodigué.

La famille, désemparée, transporte alors Divine au centre médical Diamant, propriété d’une firme canadienne. Là encore, les portes se ferment. L’administration exige cette fois 2 000 dollars avant d’approcher la patiente. En quelques heures, les deux hôpitaux privés tournent le dos à une femme en détresse. Divine décédera peu après son transfert à l’hôpital catholique Saint-Joseph, de l’archidiocèse de Kinshasa. Les sources du premier hôpital contestent ce narratif en dénonçant un récit tronqué « alors que la patiente a été stabilisée et c’est contre notre propre gré que la famille l’a transférée ailleurs ». HJ Hospital a introduit un recours gracieux auprès des autorités.

Un véritable séisme

L’affaire a provoqué un véritable séisme. Le ministère de la Santé a ordonné la fermeture des services d’urgence des deux établissements incriminés « jusqu’à nouvel ordre ». Dans son courrier aux deux hôpitaux, Yuma Ramazani, secrétaire général du ministère de la Santé est catégorique : c’est cette privation des soins qui a occasionné le décès.

Au micro de RFI, il est révolté. « Mais on est où, là ? Ce n’est pas possible, ça. Quand quelqu’un arrive en urgence, cela veut dire qu’il a besoin des premiers soins pour être stabilisé. On ne peut pas comprendre que, quand quelqu’un arrive et avant de l’examiner, on exige une caution et pas n’importe laquelle. Ça, c’est inacceptable. On ne dit pas qu’il faut soigner le malade gratuitement. Le malade se présente dans une situation d’urgence. Il faut lui administrer les premiers soins pour l’aider à le stabiliser. Et puis après, vous pouvez sortir la facture. Le malade pourra se débrouiller pour voir dans quelle mesure il peut payer », s’indigne le plus haut fonctionnaire des médecins congolais.

Selon le même courrier signé par le secrétaire général, une enquête a été ouverte par l’Inspection générale de la santé pour déterminer les responsabilités. Le gouvernement affirme que cette mesure s’inscrit dans sa volonté de mettre fin aux « pratiques abusives » dans les établissements de santé et de garantir l’accès équitable aux soins pour l’ensemble des citoyens.

Un système où la santé est devenue un luxe

Pour de nombreux Congolais, ce drame n’est que la partie visible d’un mal beaucoup plus profond. Le Mouvement national des consommateurs lésés parle d’un système où la santé est devenue un luxe. « La consultation médicale aujourd’hui dans un hôpital privé peut être à 50 dollars, voire même jusqu’à 200 dollars. Dans le cas de Divine, la famille est partie dans un hôpital. Le premier demande 5 000 dollars, le deuxième 2 000. Cela est un indicateur d’une absence totale de l’État. On ne peut plus continuer à jouer avec la vie et la santé des Congolais. Nous avons interpellé le gouvernement depuis bien longtemps, mais rien n’a changé », dénonce son coordonnateur, Joël Lamika.

Le collectif prévoit une manifestation devant le siège du gouvernement pour réclamer justice et des mesures contre les abus dans les hôpitaux. La tragédie réveille aussi de vieilles blessures. L’opposant et ancien député Ados Ndombasi affirme en avoir été lui-même victime. « En 2018, mon père est décédé parce qu’une clinique exigeait une caution de 3 000 dollars avant toute prise en charge », confie-t-il. « Conscient de cette réalité, j’ai déposé en 2022 une proposition de loi sur l’organisation des soins d’urgence. Mais elle a été ignorée par l’Assemblée nationale à cause de mon appartenance politique », continue-t-il. Il dit avoir transmis le texte directement au ministre de la Santé. « Rien n’a suivi. Chaque année, des milliers de Congolais meurent dans des services d’urgence dépourvus d’humanité. Ne nous contentons pas de mesures trompe-l’œil. Il est temps d’agir en profondeur et d’agir en urgence », clame-t-il.

Dans un communiqué, le centre médical Diamant a tenu à souligner qu’« aucun refus de soins ni de non-assistance à personne en danger n’a été constaté ». Il affirme rester disponible « pour accompagner les autorités dans toute démarche visant à faire la lumière sur les faits, dans un esprit de transparence et de respect des règles ».

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